mardi 4 septembre 2007

Métonymie en Équipe

Du grec metonumia : "changement de nom", la métonymie est un cas particulier des tropes ou métasémèmes. Cette figure de rhétorique, par laquelle on désigne un « objet » au moyen d'un terme désignant un autre « objet » qui lui est uni, est une figure si courante qu’elle en est invisible dans les colonnes des journaux comme dans le langage parlé. Par exemple, vous utilisez une métonymie quand vous déclarez « boire un verre » car en réalité c’est le contenu du verre que vous buvez et non le verre lui-même.

La métonymie s’applique quand on désigne le contenant pour le contenu (« le stade
s’est levé »), la cause pour l'effet (bénéficier des « bontés » de l’arbitre plutôt que des « actes dont la bonté de l’arbitre est la cause »), le nom du lieu où une chose se fait pour la chose elle-même (préparer un « Grenelle du dopage » par ex.), la matière pour l’objet (« croiser le fer » plutôt que « les épées »), l’instrument pour celui qui le manie (les « violons » entrent en scène plutôt que les « violonistes »), les parties du corps pour les sentiments qu’ils expriment (avoir une « belle main » pour un « beau style » au tennis), le nom du maître de maison pour la maison elle-même (et l’inverse : « prendre rendez-vous avec la Fédération » au lieu du Président de cette Fédération), etc.

Mais si la métonymie s’emploie couramment, le mot « métonymie » est lui beaucoup plus rare (et ceci est une litote). Grâces soient donc rendues à « l’Equipe », pain de chaque matin
, quotidien riche en formules visuelles, perles grammaticales et syntaxes novatrices pour avoir aujourd'hui, au détour d’un sujet sur le rugbyman et homme-sandwich Michalak, évoqué son essence « métonymique ». Hosanna, et Gloire à Jocelyn Lermusieaux !
Le style n’est pas forcément où les prétentieux l’attendent. Il transpire dans « l’Equipe » autant que dans « le Monde » dont les lecteurs (les journalistes ?) auraient parfois tendance à la condescendance. Comme le disent sagement les africains : « Même la poule noire pond des oeufs blancs ».

mercredi 25 juillet 2007

Apocope du cycliste

Nom féminin du grec apokopa, de apokopein : "retrancher". De la famille des métaplasmes, cette figure de style pointe la chute d'un ou plusieurs phonèmes ou syllabes à la fin d'un mot. Vous utilisez des apocopes tous les jours sans le savoir : métro pour métropolitain, micro pour micro-ordinateur, télé pour télé de merde, Sarko pour qui vous savez ou Ségo pour qui vous croyez savoir. À noter que par convention médiatique, Nico ne veut pas dire Nicolas Hulot.

L'apocope est une figure fétiche du langage courant, donc du journaliste moderne qui, comme la télé-réalité ou les émissions politiques, sait se mettre au niveau où il croit trouver le public. Un des intérêts de l'apocope est de générer une famile de mots nouveaux, un univers référentiel qui enrichit le sujet décrit. Ainsi de Sarko, on tire le sarkoland (sorte de dictature post-moderne), le sarkozisme (doctrine idolâtre), le sarkostan (le 9-2) ou encore la sarkozie (état d'une société angoissée). Avec un peu d'imagination, les médias eussent pu trouver la sarkolepsie (maladie post-poutinienne), le sarkozing
(comportement branché d'hommes de gauche à la recherche de sensations) ou le sarkophage. Pour ce dernier, il est vrai qu'il s'agit d'un animal qui reste à découvrir.

Foin de Sarko, l'apocope du jour s'appelle Vinokourov, donc Vino. Ce Kazakh à pédales vient de se faire pincer pour dopage sur le tour de France, et pas pour n'importe quel dopage : rejoignant pleinement le mythe de Faust, cet athlète a signé son pacte avec le diable par le sang.

Il a eu recours à une transfusion homologue, c'est à dire une transfusion du sang d'un donneur compatible pour pouvoir ré-oxygénéer ses cellules et ainsi accroitre ses performances musculaires. Comble du sordide, on soupçonne que ce donneur compatible serait son propre père qui suivait la caravane du Tour de France depuis quelques jours. Vino à alors réagi avec panache à cette suspicion consanguine : "C'est absurde ! Je peux vous dire qu'avec son sang j'aurai été contrôlé positif à la vodka."

La devise de la semaine n'aurait pas été reniée par notre dernier champion français Laurent Jalabert, surnommé Jaja : "in Vino veritas".

vendredi 13 juillet 2007

Ironie socialiste


Voilà un terme dont personne ne pense ignorer le sens, et dont l'espace médiatique est abondamment rempli. Pas plus tard que ce matin, Libération rapporte les propos de Pierre Moscovici, qualifiés d'ironiques par le quotidien, sur le côté "commedia dell'arte" de Jack Lang. Que veut dire Pierre Moscovici ? Il remet tout simplement Jack Lang sur la scène du parti socialiste, galerie composée des personnages obligés de la commedia dell'arte : Arlequin le joyeux et son double maléfique Scaramouche, Pantalon le docteur, Scapin, les militaires Matamore et Capitan, les valets Zannis, Polichinelle, le vieux Cassandre, Brighella l'aubergiste, Isabella ou encore l'amoureuse Colombine... chacun aura reconnu les siens sur cette scène grotesque à l'image du parti, mais personne ne sait où Moscovici se place lui-même, ni où il place exactement Jack Lang, qui recommande, lui, à toute la troupe d'enlever les masques et de redistribuer les rôles.

Cette comparaison du parti socialiste avec l'art italien est très savoureuse, et éminemment ironique par sa finesse et son auto-dérision. La tristesse m'envahit donc lorsque je lis la suite des propos du député européen stigmatisant Jack Lang pour ponctuer son propos en affirmant qu'il "aime trop la lumière". Et là nous ne parlons plus d'ironie (celle qui suppose la litote ou l'hyperbole, nous reviendrons sur ces termes) mais de sarcasme.

La différence est ténue et énorme tout à la fois. Comme disait Hugo Pratt par le truchement de Corto Maltese "Vous essayez d'être ironique mais ne parvenez qu'à être sarcastique, et entre les deux il y a la même différence qu'entre un soupir et un rot."

jeudi 5 juillet 2007

Anacoluthe en Gare du Nord

En dehors d'être une des plus belles insultes du capitaine Haddock, l'anacoluthe est un figure de style assez fine à saisir : la rupture de construction syntaxique dans une même sentence. Je donne en haut à droite de ce blog un exemple emprunté à Charles Baudelaire :

"Exilé sur le sol au milieu des huées / ses ailes de géant l’empêchent de marcher."


Cette rupture poétique évoque chez moi quelques ruptures autrement plus laborieuses, s'ancrant dans la réalité médiatique contemporaine, et par exemple très récemment : "Un bus a été sauvagement attaqué par des jeunes / il est temps de renvoyer les étrangers chez eux."

Très bel exemple d'anacoluthe exprimé par Philippe de Villiers qui, comme David Vincent, a vu les envahisseurs : le premier fait (réel) s'articule sans plus de manières avec la résolution qu'il lui enchâsse. Vous avez compris le principe de cet anacoluthe qui, en l'occurence, présente la seconde partie de la phrase comme une conclusion logique de la première. Et ce détournement aux origines stylées est malheureusement une fabrique intensive du politique.

Ainsi, en gare du Nord un jeune fût molesté par des uniformes, provoquant une émeute et un bouquet de commentaires allant des "bandes ethniqes" (de Villiers les a vues) aux "bandes de jeunes" (chez les socialistes on aime les jeunes) en passant par les "bandes de voyous" (à l'UMP on n'aime pas les voyous). De quoi sommes-nous sûrs ? Quel est le lien entre l'information de base et son commentaire ? Aucun. Chacun est libre de transformer cette information pour la contraindre à épouser sa conviction initiale. Et d'ailleurs qui s'en soucie puisque l'information initiale, personne n'a pris le soin de la vérifier : le jeune n'était pas jeune, la bande n'en était pas une, l'émeute était une scorie chaotique (plusieurs fois répétée depuis dans un relatif anonymat) et les images de guerre civile se résument le lendemain (pour les rares journalistes qui ont été sur les lieux) à 2 vitrines cassées...

A tous, je ne conseillerai jamais assez de réfléchir à la sagesse populaire d'un adage entendu au coin du comptoir, hier, en traînant vers Bercy :
« Ah, ben alors ça, c’est pas tombé dans l’oreille d’un borgne ! »