jeudi 11 septembre 2008

Incipit bovin

« Chaque vache reçoit une subvention annuelle moyenne de plus de 900 dollars, alors qu'un Africain sur deux vit avec moins de 1 dollar par jour ».

J'ai lu ça aujourd'hui, en ouverture d'un site web, et j'ai réfléchi plusieurs minutes. Cela faisait longtemps que je voulais mettre en scène ce mot, pas vraiment une figure de style, mais si important dans l'écriture : l'incipit.

L'incipit (
du latin incipio, is, ere : « commencer ») est la première phrase d'un roman ; celle qui vous noie instantanément (ou pas si elle est mauvaise) dans l'univers de l'écrivain, celle par quoi le livre vous ingère et ne vous lâche plus. Quelques incipits sont restés célèbres, notamment celui de "Jaques la Fataliste", de Diderot : "Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut." J'aime aussi beaucoup sans savoir pourquoi, l'équilibre gracieux de la phrase sans doute, l'incipit de "Salammbô", de Gustave Flaubert : "C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar." Dans le cas le plus récent, cité en haut de cette note, l'effet de l'incipit est parfait : il fait plus qu'inciter, il oblige à lire la suite. L'écoeurement vire à la blessure, donne envie de révolution, de violence en retour. J'espère qu'il vous aura donné la nausée, c'est l'effet recherché, comme dans ce fabuleux incipit de Maurice G. Dantec ouvrant "Les racines du mal" : "Andréas Schaltzmann s'est mis à tuer parce que son estomac pourrissait."

mardi 9 septembre 2008

Synecdoque-umentaire

La synecdoque est une figure de style de la célèbre famille des tropes, comme le sont les métonymies déjà évoquées plus bas. Elles se différencient néanmoins des métonymies par leur caractère quantitatif, quand ces dernières traitent d'avantage du qualitatif.

Restez, vous allez voir c'est très simple !


La
synecdoque permet de substituer un mot par un autre qui lui est lié, pour créer un effet de style. On peut par exemple substituer le genre par l'espèce : donner "du pain" aux pauvres veut dire qu'en fait on leur donne "de la nourriture", mais le "pain" est plus expressif et signifiant de la première nécessité. On peut ainsi substituer l'être par la matière (le "vison" pour la "fourrure de ce petit animal antipathique qui s'appelle vison") ou encore l'abstrait par le concret. On peut aussi exprimer le tout par la partie : une foule de 20 "blousons noirs" (au lieu de "20 personnes menaçantes venues de banlieue et habillées avec un goût déplorable") ou l'inverse, la partie par le tout : quand vous affirmez que votre "voiture a crevé", c'est en réalité votre "pneu", et lui seulement, qui se dégonfle.

M6 est-elle une chaîne de dégonflés
? Non, si l'on en croît le titre synecdocien du Parisien d'aujourd'hui "M6 renoue le dialogue avec Sarcelles". La figure de style tend à montrer que tout Sarcelles débarque à Neuilly pour discuter avec tous les salariés de M6 dans un mémorable speed dating (qui mériterait pour le coup une émission). Il ne s'agit bien sûr que de quelques représentants de la rédaction de M6 (une partie pour le tout) écoutant d'une oreille distraite, quoique gênée, une vingtaine de Sarcellois en colère manifestant devant le siège de l'antenne après la diffusion d'un documentaire dans l'émission "66 Minutes". Ils en ont marre que leur bonne ville de Sarcelles (la partie) soit en permanence une synecdoque des "quartiers dangereux" (le tout). Et M6 (la partie) de devenir à son tour la synecdoque des "médias qui nous caricaturent" (le tout).

Ce hiatus, ce combat synecdocien, est un apanage paranoïaque majeur de la société de médiation, faite d'images, de représentations et de mise en scène permanente (voire exclusive) des Parties pour le Tout. Une caricature qui est l'essence même de l'information télévisuelle.


La
synecdoque est partout, la synecdoque vous guette dans chaque recoin de l'écran. Est-ce si grave ? Le pouvoir de M6 est-il si imposant qu'il justifie une telle manifestation ? Au moment où les audiences des chaînes "généralistes" fondent comme neige au soleil, on peut à l'occasion se rappeler ce proverbe espagnol : "Perro ladrador, poco mordedor" qui ne veut pas dire "j'ai un petit peu mordu mon pauvre labrador" mais : "Grand parleur, petit faiseur".

jeudi 24 avril 2008

Pléonasme LIBÉrateur

J'ai beaucoup ri hier à ce pléonasme vu dans Libération à propos de la bourde d'Elkabbach annonçant la vraie-fausse mort de Pascal Sevran à l'antenne d'Europe 1. Le journal, qui s'appuie décidément sur une verve retrouvée après avoir inventé l'immortel "président bling bling", titrait "Elkabbach, le scoop de la mort qui tue". Voilà donc une belle figure de répétition dont le Littré donne selon moi la meilleure définition : Figure de syntaxe par laquelle on ajoute à une phrase des mots qui paraissent superflus par rapport à l'intégrité grammaticale, mais qui servent pourtant à y ajouter des idées accessoires, surabondantes, soit pour y jeter de la clarté, soit pour en augmenter l'énergie. Voila pour l'énergie. Pascal Sevran aura sûrement fait le plein de tonus en apprenant avec quelle voracité, appétit et gourmandise sa disparition pouvait être annoncée...

Notons que ces pléonasmes, voulus pour souligner le propos, n'eussent été que des négligences de style, autrement appelées tautologies, si elles n'avaient été dressées à dessein. Et le dessein manque parfois à la presse (en l'occurrence audiovisuelle) quand, pressée par la tendance délatrice et incontrôlable des blogs et autres avatars du média qu'est devenu Internet, les rédactions mettent au pinacle les valeurs de rapidité, voire d'exclusivité (bel oxymoron) des informations qu'elles diffusent. Ainsi la bourde de début de semaine de LCI, diffusant de longues minutes la nécrologie d'Yves Saint-Laurent... à la place de celle d'Aimé Césaire !

Je serais Yves Saint-Laurent, je ne regretterai pas de m'être rendu invisible ces dernières années. Les médias sont sur une pente glissante à laquelle il leur est difficile de trouver une parade. Il ne reste à Elkabbach qu'à incriminer sa rédaction, à l'exemple d'un Calife marocain dont la phrase fait désormais office de maxime : "Le Minaret est tombé, que l'on pende le barbier !"

mercredi 23 avril 2008

Antinomie Bushienne

L'antinomie est une figure d'opposition : une contradiction entre deux dispositions d'un même texte. Selon le Littré, il s'agit de la contradiction entre deux lois exprimée, donc, dans une même phrase. Dabeuliou Bush étant lui-même une forme incarnée d'antinomie au réel (et lui-même en phase de décadence vers l'opposition) il est capable, encore récemment, de dire des choses comme : "Les Etats-Unis ne renonceront pas à leurs efforts visant à aider le peuple Libanais (...) à résister aux ingérences dans leurs affaires intérieures"... Trois secondes de silence plus tard, on comprend donc bouche bée que, tellement attaché à la souveraineté du Liban, l'ectoplasmique président souhaite y contribuer en exerçant une sorte de devoir d'ingérence....

On n'est plus à une stupéfaction près de la part de cet expert du parler-faux qui eût pu utiliser aussi naturellement (et comme Mr Jourdain) toutes les formes recensées de figures rhétoriques d'opposition : les
antithèses (par exemple un vibrant "si le Liban est un petit pays, c'est une grande nation !"), les antiphrases ("Dans l'armée Syrienne, est sobre et modéré qui n'utilise que la grenade", pour paraphraser les Caractères de La Bruyère), les paradoxes ou antilogies ("combattre pour la paix, c'est vraiment être pacifique") et les oxymores (au hasard... "le rêve américain"), sans même parler des chiasmes (figures sophistiquées comprenant une double antithèse dont les termes sont inversés selon le Grand Larousse).

Tout cela est déprimant voire écoeurant, j'en conviens, mais ô combien illustratif du dépeçage que font les politiques du moindre mot. Ici la souveraineté, qu'il faut lire comme la sujétion à l'Empire du Bien. Plus c'est gros, plus ça fait mal ... et plus ça passe. Mais attention car, comme disait
Pierre Desproges, "Bien mal au cul ne profite jamais."