mardi 18 mai 2010

Interférences lexicales et boursoufling

C'est une tarte à la cream, l'anglais s'est insinué dans l'ensemble de nos fabrications langagières et donc dans les médias. Ce phénomène prend plusieurs formes assez dissemblables et inégalement drôles.

Le premier mode est l'assimilation : au fil des siècles, la manoeuvre anglaise dite "parking" est deve
nu un lieu, le "parking" en Français. Dans l'autre sens, un "rendez-vous" en Français est devenu un "rendez-vous" en Anglais, ce dernier, galant, ayant lieu hors des parkings. Certains imports sont en fait des exports, le plus amusant que je connaisse étant le "budget" qui est bien à l'origine un mot Français, la "bougette" : petite bourse en cuir nouée à la ceinture des chevaliers moyenâgeux et renfermant leurs précieux écus, bougeait de haut en bas épousant les soubresauts hippiques de leurs propriétaires. Devenue "budget" pour la couronne britannique (où on parlait Français), le mot nous est revenu paré d'atours plus financiers, preuve que les traders ont de la branche.

La plus amusante des influences anglo-saxonne me semble l'impropriété, ou interférence lexicale : "il a ruiné mes pompes, ce con" est une phrase impropre car le con aurait du "abimer" les pompes. Mais l'anglais est passé par là avec son "to ruin" qui signifie donc "détruire".
Le (la) troisième mode est l'anglicisme, forme beaucoup plus pesante qui consiste à rajouter des terminaisons anglicisantes à toutes sortes de mots (même anglais) pour leur donner cette touch(e) tendance qui vous donne envie de les prononcer à tout bout de champ.

La plus insupportable est cette manie de mettre des "ing" partout, là où même les anglais n'en mettent pas. Ainsi le "fooding" est-il vraiment distingué mais le déjeuner, moins. On fait du "fooding" chez Ducasse ou (mieux) chez Spoon, et sans doute bientôt le "drinking" fera-t-il son apparition distinguée (juste avant le "burping" si mes informations sont bonnes).


J'eusse préféré à la limite le "manging" avant d'aller "baising", mais je crois que personne ne dira jamais ça.
Dommage, d'ailleurs, car alors on aurait pu faire du "puting" au Bois en restant très chics.

Je viens d'ailleurs de tomber sur un article passionnant traitant de l'avenir des médias où la nouvelle pratique émergente est désignée par le tout nouveau "couch computing" (l'informatique de canapé, l'iPad)... Dans le monde des médias, entre personal branding, cloud computing et multi-tasking, il est vrai qu'on en est plus à un près.


Alors quoi ? Rien justement. Nos modes de vie évoluent. Nous pouvons d'un click consulter le Wall Street Journal ou la Stampa, lire des tweets en provenance de Shiraz ou Buenos Aires, et il est bien normal que nos langages se mélangent. L'agaçant est éternellement et seulement le snobisme, quand tel fat spécialiste se propose de délivrer sa "keynote" ou tel commerçant de tissu d'ouvrir un "flagship" à Nogent le Rotrou.


Ils auraient fourni une bonne matière à William Makepeace Thackeray, l'auteur de "Vanity fair" et "The book of snobs", présentant une typologie des fâcheux du XIXème siècle. Ainsi Mme PONTO, archétype de snob Victorienne et campagnarde, ayant pris le narrateur pour un aristocrate "se mit à débiter sans réfléchir des bribes de Français, tout à fait comme les personnages de ces romans : elle déposa gracieusement un baiser sur sa main à mon intention en m'invitant à venir prendre bientôt le caffy avec ung pu de musick o salong..."
 
Il y a un siècle et demi il fallait parler Français pour être snob...